Adieu cochons, bonjour les rats, par Sylvie Kauffmann
LE MONDE | 28.01.08 | 14h13
La mondialisation ne respecte rien, pas même la
tradition quatre fois millénaire du Nouvel An chinois. L'année lunaire qui, en
2008, s'ouvre le 7 février, soit deux lunes après le solstice d'hiver, est
placée sous le signe du Rat, mais ce rat-là a de drôles d'oreilles. Rondes,
noires, luisantes... Disney n'allait pas laisser passer une pareille occasion,
et, à Hongkong, l'année du Rat est en train de se transformer en "Year of
the Mouse" - Mickey Mouse, bien sûr. Comme EuroDisney en France, il y a
quelques années, Disneyland Hongkong, ouvert en 2005, a du mal à séduire un
public malgré tout encore attaché à sa propre culture. Fabuleuse aubaine,
l'année du Rat, chassant celle du Cochon, a permis à l'entreprise américaine de
lancer une campagne publicitaire sur le thème "Year of the Mouse Celebration",
où l'on voit Mickey et Minnie en costume chinois fêter le Nouvel An sur fond de
musique sirupeuse. Dans le parc lui-même, Main Street USA s'est enrichie de
quelques danses du dragon, du dieu de la prospérité et de celui de la
longévité, et le tour est joué : grâce à Mickey, Disney et la culture chinoise
ne font plus qu'un.
Dans l'univers chinois, qui dépasse largement les
frontières de la République populaire avec quelque 40 millions de Chinois à
travers le monde, dont 30 dans divers pays d'Asie, le Nouvel An n'est pas une
mince affaire. C'est d'abord l'occasion d'une gigantesque transhumance, qui
occupe transporteurs et agents de voyage plusieurs mois à l'avance. Comme les
Américains à Thanksgiving, les Chinois sont prêts à traverser le pays en
troupeau pour commencer la nouvelle année lunaire en famille ; simplement, ici,
les troupeaux sont plus gros. Quand 146 millions de personnes se déplacent en
même temps, comme ce fut le cas en 2007, ça vous transforme un pays. Le Nouvel
An est d'ailleurs le seul moment de l'année où les vols directs entre Taïwan et
la Chine, sans changement à Hongkong, sont autorisés, pour permettre au million
de Taïwanais travaillant en Chine de passer les fêtes chez eux.
Il y a huit ans, la Chine a décidé d'octroyer trois
"semaines d'or" par an à ses travailleurs, afin d'encourager le tourisme
et la consommation. Avec trois jours fériés autour du Nouvel An chinois, du 1er
mai et de la fête nationale (le 1er octobre), on pouvait chaque fois se
bricoler une semaine de congé en réorganisant les week-ends. Mais la bonne idée
a tourné au cauchemar lorsque des millions de gens, trois fois par an, se sont
retrouvés debout dans les mêmes trains, prenant d'assaut les mêmes bus,
dévastant les mêmes sites touristiques. Lorsqu'une tortue vieille de mille ans
a été écrasée par une horde de visiteurs, l'idée de l'étalement des vacances
est venue aux autorités pour résoudre, selon les termes d'un responsable du
tourisme, "les contradictions entre la demande des consommateurs et la
capacité du service". La presse a même débattu des mérites de la
flexibilité en matière de vacances. Mais en décembre 2007, la décision est
tombée : la "semaine d'or" du 1er mai est supprimée, remplacée par
quatre jours fériés répartis sur l'année. Les congés payés sont, en Chine, à la
discrétion des employeurs.
La "semaine d'or" du Nouvel An, la plus
importante fête chinoise, a été sauvée. Inutile de songer à mener d'importantes
négociations d'affaires cette semaine-là, en Chine ou dans les pays d'Asie à
grosse communauté chinoise : le pouvoir économique est en vacances. Pékin,
Shanghaï, Taïpeh ou Singapour sont des villes mortes. Même les chantiers
s'arrêtent, désertés par les travailleurs migrants rentrés dans leur province
éloignée.
Les festivités durent théoriquement deux semaines.
Les Chinois mangent en famille, rendent visite aux amis les bras chargés
d'oranges et de mandarines, symboles du bonheur en abondance. En Chine, le soir
du réveillon, la traditionnelle émission de variétés "Divertissement
collectif de la Fête du printemps" est un must. Cette "Star Academy"
à la chinoise affiche une audience de 850 millions de téléspectateurs, avant
les pétards et les feux d'artifice.
Et le rat, dans tout ça ? L'année du Rat sera
"une année calme en apparence, mais pleine de tensions en dessous".
C'est un maître de feng shui (l'art d'harmoniser l'énergie des lieux) qui le
dit, et Raymond Lo s'y connaît : il a prédit la chute de Gorbatchev en 1991,
puis celle du Nasdaq en 2000.
Le Rat lui-même, sous le signe duquel se trouvent
les humains nés en 1936, 1948, 1960, 1972, 1984 et 1996, est, contrairement à
sa réputation, un signe très intéressant. C'est lui qui fut chargé d'amener les
animaux au banquet de l'empereur de jade pour sélectionner les signes du
zodiaque. C'est donc un leader naturel, qui sait se faire respecter. Le Rat est
travailleur, ambitieux, énergique. C'est un survivant, qui a l'art de trouver
des solutions et de surmonter les obstacles. Les rats, cette année, seront les
rois du monde.
Courriel : lettredasie@lemonde.fr
Sylvie Kauffmann - Article paru dans l'édition du
29.01.08 |