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Sur "la gifle", article trouvé dans Libération du 22 mars

Connexion directe avec l'article : http://www.liberation.fr/transversales/weekend/317021.FR.php  [CLIC DROIT,  puis OUVRIR LE LIEN DANS UN NOUVEL ONGLET]

Autre lien, l'article en .pdf    la gifle et analyse debarbieux.pdf      [CLIC DROIT, etc.]

 

«La gifle, signe de l'immense solitude des enseignants»

Recueilli par VÉRONIQUE SOULÉ

Libération - QUOTIDIEN : samedi 22 mars 2008

Directeur de l'Observatoire international de la violence scolaire, fondé en 2004, Eric Debarbieux a été éducateur spécialisé à Roubaix (Nord) puis instituteur spécialisé, pendant dix-huit ans. Il est professeur en sciences de l'éducation à l'université de Bordeaux. Il a écrit de nombreux livres et articles sur la violence à l'école et sur la délinquance des mineurs dont notamment : la Violence en milieu scolaire : le désordre des choses (ESF), Violence à l'école : un défi mondial (Armand Colin) ou encore l'Oppression quotidienne : enquête sur une délinquance des mineurs (la Documentation française). Eric Debarbieux est également un des organisateurs des conférences mondiales sur la violence à l'école dont la prochaine se tiendra à Lisbonne, en juin.

L'affaire de l'enseignant de Berlaimont, dans le Nord - qui a giflé un élève après avoir été traité de «connard» (1) et qui sera jugé le 27 mars pour violence sur mineur - a provoqué une vague de sympathie dans l'opinion. Peut-on parler d'une réhabilitation de la gifle à l'école ?

Il ne faut pas tout confondre, une claque qui tombe à un moment d'exaspération et un système d'enseignement. Dans ce cas-ci, le professeur a manifestement craqué. Sa garde à vue et son interpellation à son domicile ont été tout à fait surdimensionnées. L'affaire n'aurait en outre pas dû être judiciarisée. Je me garderais toutefois de la juger sur le fond car il y a trop d'incertitudes. Attendons que toute la lumière soit faite. Paradoxalement, le fait que le père de l'élève soit un gendarme a été une chance pour ceux qui en ont profité pour louer l'autoritarisme musclé : on peut ainsi être conservateur tout en paraissant être anarchiste. J'ai analysé le courrier des lecteurs sur le site Libé Lille dans les jours qui ont suivi cette malheureuse affaire: 92 % sont favorables à l'enseignant, 5 % demandent des éclaircissements, les autres écrivent que si c'était arrivé à leurs enfants, ils auraient peut-être porté plainte. Si l'on observe la presse, les blogs, l'opinion, y compris au plus haut niveau de l'Etat, le procès public est entièrement à charge de l'élève, présenté comme un morveux, et de son père. Je suis même consterné par certaines réactions. L'école française est censée être une école de la raison. Or, un philosophe qui fut ministre de l'Education, Luc Ferry, nous explique qu'à la place du père, il «aurait doublé la mise et donné deux gifles». Le pédopsychiatre Marcel Ruffo se range lui aussi du côté de l'enseignant. Il est dès lors important de réfléchir à l'efficacité d'un tel geste.

A-t-on pu l'évaluer ?

Dans le cadre de recherches actuelles sur le châtiment corporel, je dépouille la littérature mondiale. Il existe un débat très fort aux Etats-unis, où dix-huit Etats autorisent encore le châtiment corporel. Chaque année, le département de l'Education publie les indicateurs du crime à l'école. Ainsi, en 1994, 470.683 élèves disaient avoir été frappés par un enseignant, contre 272.028 en 2004, soit une diminution de 42 %. Simultanément en 1994, 13 % des enseignants disaient avoir subi de mauvais traitements de leurs élèves contre 7 % dix ans plus tard. Il n'y a donc pas de corrélation entre la baisse du châtiment corporel et l'augmentation des mauvais traitements contre les enseignants - un argument des nostalgiques des méthodes fortes qui auraient fait leurs preuves. Des recherches du FBI ont par ailleurs établi que, dans les Etats autorisant le châtiment corporel, le risque est plus important d'avoir un school-shooting (un élève qui fait un carnage, ndlr). Le châtiment corporel influe en fait directement sur l'augmentation de la délinquance et de la violence. Une corrélation que l'on accepte dans la famille - les parents maltraitants ont souvent été des enfants maltraités - mais qui vaut aussi pour l'école. J'ai moi-même mené des recherches sur le sujet en Afrique. A Djibouti, en 2004-2005, nous avons interrogé 2 500 élèves vivant pour la plupart en bidonvilles. Le nombre d'enfants frappés varie de 3 % à 80 % selon les écoles. Dans celles où l'on frappe le plus, on trouve le plus grand nombre d'échecs scolaires. Ceci prouve que ces pratiques, souvent présentées à tort comme des traditions, restent inefficaces et augmentent même les difficultés.

Sait-on s'il arrive souvent qu'un professeur excédé frappe un élève ?

En France, nous avons peu d'enquêtes statistiques de terrain. La plus importante date de 1987 et figure dans l'excellent livre sur l'école primaire de Bernard Douet, qui montre à quel point ces choses existaient encore - qu'un professeur pince un élève, tire les cheveux, donne une gifle... En primaire, la férule, le coup de règle sur les doigts ou l'éponge jetée à travers la classe sont restés assez fréquents jusqu'aux années 1960-1970. Ce n'était pas du tout le cas au lycée qui fut longtemps un lycée de l'élite, avec juste une faible partie d'une classe d'âge, issue des couches privilégiées, arrivant au bac. Notre Observatoire européen sur la violence scolaire (2) a aussi enquêté sur le sujet. Depuis 1993, nous avons demandé à 25 000 collégiens français quel type de violence ils subissaient à l'école : seuls 0,3 % ont répondu avoir été frappés par un enseignant. Il s'agit presque toujours de garçons, le plus souvent dans des établissements populaires. Les recherches internationales le prouvent : il existe une inégalité devant le risque d'être frappé, les milieux populaires étant plus touchés - même si dans le cas présent, il s'agit du fils d'un gendarme.

La gifle peut-elle être considérée comme un châtiment corporel ?

La gifle réflexe qui tombe une fois ou deux dans la vie d'un enseignant, non. Mais tout de même l'élève la ressent comme tel : il est puni car il a commis une faute mais c'est son corps qui prend. La question reste en fait très débattue dans la recherche internationale. Y a-t-il un seuil ? On peut dire que s'il y a répétition du châtiment corporel, tout ce que j'ai dit sur ses conséquences néfastes est valable. C'est plus discuté lorsque c'est un recours très occasionnel.

Comment expliquer que l'opinion sympathise tellement avec le gifleur ?

Il y a un sentiment de chute du métier et de perte de respectabilité. Mais cette affaire est surtout le signe de l'immense solitude des enseignants et de leur manque de préparation face à ce genre de situation. Ils n'ont pratiquement pas appris à gérer leur stress. Voilà un paradoxe : pendant des dizaines d'années, ils vont faire du travail en groupe, avec des enfants qui ne veulent pas toujours être là, et on ne leur apprend pas comment gérer les difficultés. En raison d'un certain regret des temps anciens et du souhait des enseignants de n'être qu'enseignants, on a en France, bien plus qu'ailleurs, un fort courant antipédagogique. Pourtant, il existe des dispositifs pédagogiques qui préviennent la violence à l'école. Des expériences pionnières sont menées dans des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) mais elles sont très rares. Un expert canadien, Denis Jeffrey, a mené une étude auprès d'enseignants sortant de formation. Elle révèle que ceux formés aux situations difficiles sont beaucoup moins agressés, et que leurs élèves s'agressent nettement moins entre eux. Toujours selon cette étude, lorsqu'un enseignant arrive dans une équipe stable qui l'accueille en mettant en place un tutorat par exemple, le risque d'agression était diminué de moitié. La meilleure spécialiste nord-américaine, Denise Gottfredson, a démontré que la stabilité et la gestion collégiale des équipes éducatives sont le meilleur facteur de protection face à la violence.

La gifle serait-elle plus acceptée qu'il y a dix ou vingt ans ?

Hélas il semble bien ! Il y a une sorte de retour du refoulé assez étonnant. On est dans la pensée anti-68, dans l'idée qu'il y a une perte de repères et un laxisme généralisé des familles. Il faudrait que les parents aient parfaitement élevé leurs enfants afin que les enseignants puissent délivrer leurs messages. Sinon, c'est la condamnation.

Depuis quand le châtiment corporel est-il interdit ? L'année 1968 a-t-elle marqué un tournant ?

C'est sous Guizot (François Guizot, ministre de l'Instruction publique durant la monarchie de Juillet) qu'il a été aboli. La loi du 23 avril 1834 sur le statut des écoles primaires communales stipule que «les élèves ne pourront jamais être frappés» et dresse la liste des punitions autorisées. Parmi celles-ci, «un ou plusieurs mauvais points, la réprimande, la privation de toute ou partie de la récréation avec une tâche extraordinaire»... Les règlements du 18 janvier 1887, toujours pour le primaire, ajoutent «la retenue après la classe, sous la surveillance de l'instituteur». Mais ils retirent des mesures «infamantes», comme «la mise à genoux pendant une partie de la classe ou de la récréation» et «le port d'un écriteau désignant la nature de la faute». L'article 20 rappelle en outre qu'il «est absolument interdit d'infliger aucun châtiment corporel». La punition collective a, elle, été interdite dès 1886, au titre que le fondement du droit est l'individualisation de la peine. Mais elle a été rétablie par François Fillon, alors ministre de l'Education (1993-1995). La grande époque où l'on interdit en droit les châtiments corporels est donc le XIXe siècle et le tournant du XXe. C'est la naissance du «sentiment de l'enfance», la découverte que pour élever les enfants, la famille est capitale. La valeur «amour» prend de l'importance, notamment au sein des classes sociales aisées. En 1900, la grande pédagogue suédoise Helen Key, amie de Rainer Maria Rilke, intitule son livre l e Siècle de l'enfant. Dans ce domaine, 1968 est un épiphénomène, rien de plus que l'aboutissement d'un mouvement pluriséculaire où la valeur de la famille nucléaire et l'affection ont fini par l'emporter sur la brutalité. Le sociologue Jacques Testanière a montré qu'il y a eu, après 1968, une véritable inflation de punitions. Jusqu'ici le chahut était un chahut traditionnel de l'entre soi. Il exprimait le défoulement des élèves de classes sociales favorisées. Mais avec la massification, il est devenu un chahut «anomique», entre élèves issus de tous les milieux. Peut-être faut-il voir là un revers de la démocratisation : avec la massification, on n'a pas réussi à bousculer la formation des enseignants. Elle reste de très haut niveau sur le plan conceptuel et des disciplines. Mais il n'y a guère de place pour la pédagogie.

Sur le plan juridique, on ne reconnaît donc plus le droit à la correction ?

C'est strictement interdit par le règlement. En droit, les enseignants peuvent être condamnés. Mais dans la réalité, la jurisprudence reconnaît encore ce «droit à la correction» et on n'a guère de condamnation.

Si ce n'est la gifle, quelle sanction est appropriée face à un élève qui traite son prof de «connard» ?

Il faut bien sûr solenniser les choses et ne pas admettre de tels comportements. Je ne suis pas contre l'idée d'une «justice restaurative» qui progresse en Australie ou au Canada, prônant des travaux d'intérêts généraux. Mais cela nécessite une entente dans les équipes, que les profs ne soient pas seuls avec leurs classes et qu'il y ait des plans de prévention concrets en cas de crise. Lorsqu'un élève profère des menaces de mort, il faut intervenir tout de suite. Mais où sont ces plans de prévention ? On fait comme s'il fallait éliminer la violence et qu'ensuite tout irait bien. Or la violence, les frictions, la discipline sont des éléments constitutifs de l'éducation.

Pourquoi tarde-t-on tant ?

C'est devenu extrêmement idéologique. Les deux discours - sur la répression et sur la prévention - sont présentés comme forcément opposés. C'est en outre très payant électoralement, ce qui empêche d'agir. Dans un rapport en 1999, j'avais indiqué que dans les zones sensibles, 7 % des enseignants disaient en 1993 ressentir une forte agressivité des élèves contre eux et qu'ils étaient 42 % en 1999. Il aurait fallu réagir plus tôt. Je suis navré des mesurettes que l'on prend. Tant que l'on n'aura pas stabilisé les équipes dans les zones sensibles, on n'y arrivera pas. En France, les enseignants du second degré sont massivement nommés en zone sensible à leur sortie d'IUFM. Par exemple, près du tiers de ceux formés en Aquitaine se retrouvent en zone sensible en région parisienne. Ils débarquent dans des établissements loin de chez eux, sans amis. Et ils se retrouvent dans des équipes très instables : tous les ans, 50, 60, voire 70 % des enseignants réclament leur mutation. En fait, les plus anciens dans ces établissements sont les élèves. Ils en connaissent parfaitement les failles, savent où exercer leur racket sans être vus, etc.

Y a-t-il des pays modèles en matière de prévention de la violence à l'école ?

Les chercheurs du monde entier citent l'Europe du Nord. En Suède ou en Norvège notamment, le châtiment corporel est interdit, en famille et à l'école. Dans ces pays, les agressions contre les enseignants et surtout celles des élèves entre eux y sont en baisse. En même temps, selon les enquêtes internationales Pisa sur le niveau scolaire, ils nous devancent largement. Au Québec aussi, on fait beaucoup de choses qui marchent. Aux Etats-Unis se développe le mouvement des petites communautés, des écoles de voisinage où les commerçants, les parents, les habitants... sont très impliqués. La délinquance et la violence dans le quartier ont fortement baissé. Le secret est là : enseignants, travailleurs sociaux, psychologues doivent travailler ensemble.

Le retour de l'instruction civique et morale annoncé par le ministre Xavier Darcos peut-il aider ?

Je suis pour la morale et l'éthique à l'école. Mais pas s'il s'agit d'apprendre par c½ur des maximes ou d'écouter des leçons de morale, La valeur de l'exemple est plus importante que la maxime. Si un enseignant frappe, alors les élèves ont le droit de se frapper entre eux. On est dans un permis de frapper. Lors de mon enquête à Djibouti, j'ai constaté que dans l'école où 80 % des élèves étaient frappés, il y avait dix fois plus d'enfants qui se tapaient que dans les écoles où on frappait le moins. La recherche nord-américaine et anglo-saxonne a beaucoup évalué les leçons de morale données par un enseignant ou par un policier. Ils ont conclu que cette méthode n'avait aucune efficacité. Pour les adolescents en grandes difficultés, elle est même dangereuse. Ils vont faire l'inverse de ce que disent le prof et le policier. Par contre la morale vécue, avec la possibilité de discuter, a une efficacité préventive. Les idées d'apprentissage de la philo en primaire ont aussi été évaluées très positivement. Mais tout cela implique plus de courage que le recours aux bonnes vieilles méthodes. Il faut faire attention à ne pas se laisser emporter par une vague nostalgique répressive, qui est en fait régressive.

 (1) Libération des 1er et 7 février 2008.

 (2) www.ijvs.org

http://www.liberation.fr/transversales/weekend/317021.FR.php

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